dimanche 29 mai 2011

La paroisse de Nice, les niçois, et Moscou


Sommes-nous indifférents à ce qui se passe à Nice ? Mais pas le moins du monde. Car le jugement du 19 Mai ne me semble pas de nature à enflammer les passions de tous ordres, et peut tout au contraire, par sa sagesse issue du bon usage des lois de France, nous replacer tous dans la bonne direction. Car cette décision présente bien des avantages, aussi bien pour les paroissiens (qui sont les premiers concernés) que pour la bonne ville de Nice (qui a son mot à dire, et mérite mieux que bon nombre de désinformations sur le sujet).

Les paroissiens

Voici pour eux l’occasion d’être enfin entendus, dans leur totalité. Rappelons ici les mots paisibles prononcés par Feu Madame Lydia Places (ancienne secrétaire de l’ACOR), le 12 mars 2009, dans une lettre adressée à Monsieur le maire de Nice :

« Rendez à la cathédrale orthodoxe russe Saint-Nicolas de Nice sa mission essentielle: être la Maison de Dieu où paroissiens, fidèles et amis retrouveront les pasteurs doux et humbles de cœur que la spiritualité russe leur a donnés par le passé et où, en paix, ils pourront venir se recueillir et prier devant leurs icônes ».

Et souvenons nous qu’une lettre avait alors été adressée à son instigation au Patriarche de Moscou, exprimant le souhait d’une grande majorité des paroissiens et amis de la cathédrale russe de Nice (près de cent vingt signataires), que celle-ci soit librement rattachée à son patriarcat.

Combien de paroissiens, membres de l’ACOR, souhaitent-ils que leur cathédrale conserve ses liens avec Constantinople, autour de leur recteur ? A l’évidence un bien plus petit nombre, probablement autour d’une quarantaine, sinon moins…

Qu’en déduire? Peut-être que la majorité devrait être enfin entendue, et c’est justement ce que permet le jugement de la Cour d’Appel d’Aix. Ne devrions nous pas en être satisfaits, orthodoxes de toutes origines? Qu’une association cultuelle soit ainsi établie autour d’un recteur nommé par Moscou pour répondre au libre arbitre des fidèles de Saint-Nicolas n’est pas une aberration. Et qu’elle laisse les prêtres de Constantinople officier eux aussi au sein de la cathédrale sera un devoir. Qui aura lieu.

L’ensemble des paroissiens, ressoudés autour d’une grande orthodoxie, retrouveront la paix qui s’était un peu éloignée de leur église.

Les niçois

Ils vont vite le réaliser, ils ont tout à gagner avec le retour à la Russie de leur « église russe », qui constitue depuis si longtemps une partie intégrante du paysage niçois :

Que veut dire « retour à la Russie » ? Ni plus ni moins que l’obligation pour l’Etat russe de gérer en bon père de famille l’édifice architectural que constitue l’église, monument d’exception. En assurer la maintenance et l’entretien. En garantir la pérennité et la sécurité. Autant de dépenses que la municipalité, c’est-à-dire les niçois, mais aussi la région, n’auront plus à supporter financièrement. Comment s’en plaindre ?

L’Etat russe a par ailleurs promis le retour à la gratuité d’accès du lieu, qui est en tête de liste des endroits les plus visités de la ville et des communes environnantes. Voilà qui ne peut que plaire à tous : Les russes en villégiature parmi nous, qui participent grandement à l’essor commercial de notre région; tous les touristes dans leur ensemble; les niçois aussi (et particulièrement les riverains) qui se plaisent à goûter à la paix sereine qui habite ce lieu de prières qui leur appartient aussi.

Pour la Russie, l’abandon de cette manne assez dénaturée est un acte responsable, qui augmente sa charge financière.

Moscou

La Russie construit des églises. Et prend à sa charge celles qui, disséminées hors des frontières russes, lui reviennent de droit ou par choix. Elle confie à son patriarcat la gestion cultuelle de ces lieux de prière, en un geste bien naturel qui est l’application sage du principe de séparation des pouvoirs de l’Etat et de l’Eglise. Qui pourrait s’en plaindre ? Certainement pas les orthodoxes. Encore moins les orthodoxes russes de Nice, qui jusqu’ici n’ont probablement pas eu suffisamment le droit à la parole : Laissons leur enfin ce droit, et cessons de vouloir diriger leurs choix. Et ne les plaignons pas, ils ne sont pas à plaindre. Enfin, respectons les décisions de la Justice de notre pays, dont l’indépendance ne peut être mise en cause.

Merci aux paroissiens pour leur sagesse, merci aux niçois pour aimer notre cathédrale, et merci à Moscou pour la soutenir!

jeudi 19 mai 2011

La cour d'appel d'Aix-en-Provence confirme la décision du Tribunal d'Instance de Nice: la cathédrale Saint Nicolas de Nice devient propriété de la Fédération de Russie.
Ivan Serguéevitch

samedi 14 mai 2011

Un message de l'Administration diocésaine de la cathédrale Saint-Alexandre Newski


Voici un message de l'Administration diocésaine de la Rue Daru, relatif à la décision imminente de la Cour d'Appel d'Aix, attendue le 19 mai prochain:

"Le Christ est ressuscité !

Monseigneur l'Archevêque Gabriel a donné sa bénédiction à tous les clercs et les fidèles de notre archevêché pour mentionner dans leurs prières la communauté paroissiale Saint-Nicolas-le-Thaumaturge de Nice en attente du jugement en appel concernant leur cathédrale, jugement qui doit être rendu le jeudi 19 mai prochain. Que le Seigneur, les soutienne dans l'épreuve, quelle qu'en soit l'issue.

L' Administration diocésaine".


« Que le Seigneur les soutienne dans l’épreuve, quelle qu’en soit l’issue » :


L’administration diocésaine de la cathédrale saint-Alexandre Newski envisage la possibilité que les paroissiens soient éprouvés ce 19 mai, - que la cathédrale (l’édifice, et non pas le lieu de culte) retourne à la Russie, ou qu’elle devienne la propriété de l’ACOR qui en assure actuellement la gestion.


Veut-elle par là sous-entendre (à juste titre) que les paroissiens sont divisés sur la question, et que donc, quelle que soit l’issue, une partie d’entre eux sera éprouvée ? Cela pourrait sembler logique, a priori.


Ou bien considère-t-elle que tous les paroissiens seront éprouvés, dans les deux cas ? Mais ce jugement aura d’abord un effet immédiat sur la gestion de l’édifice, puisque c’est de cela qu’il s’agit, en tous cas pour le moment. En quoi donc l’ensemble des paroissiens devraient-il être éprouvés ici ? La véritable question ne se posera pour eux que lorsqu’il s’agira de décider à quelle église ils souhaitent être rattachés, Constantinople comme c’est le cas pour le moment, ou Moscou, comme une majorité pourrait bien le souhaiter.


Et au fond, le retour de la cathédrale à la Russie ne donne-t-il pas enfin à l’ensemble des paroissiens la possibilité de décider librement et démocratiquement (par exemple par un vote) de poursuivre le chemin qui mène à Dieu avec Constantinople, ou bien de rejoindre la liturgie de Moscou ? Car cette possibilité, l’ACOR l'a-t-elle jamais proposée à ses paroissiens? Cela ne semble pas être son intention exprimée à ce jour. Alors que la Fédération de Russie, état de droit qui est séparé de l’église, prendra, il me semble, soin de ne pas intervenir sur ce point, laissant aux paroissiens décider eux-mêmes de leur église. Qui de toute façon restera orthodoxe, il ne faut pas l’oublier, à un moment où les deux Patriarcats n’ont jamais été aussi proches l’un de l’autre, ce qui est merveilleux.


Alors ne pourrait-on pas convenir ensemble : «Que le Seigneur soutienne les paroissiens de la cathédrale Saint-Nicolas dans leur libre-choix, quelle que soit l’issue de la justice des hommes » ?

vendredi 13 mai 2011

Point sur le procès de l'église russe de Nice


Par S. Rehbinder sur "Parlons d'Orthodoxie"

Quelques jours avant le prononcé du jugement concernant l’appel de l’association cultuelle orthodoxe
russe de Nice contre la décision qui confirmait que l'église Saint-Nicolas était bien la propriété de
l’Etat russe, il est peut-être intéressant de prendre connaissance des arguments présentés par
les deux parties devant les juges de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Les arguments de l’Association cultuelle orthodoxe russe (ACOR)

En préalable, l’A.c.o.r. produit un argument nouveau qui n’avait pas été présenté en première instance :
l’état russe ne saurait réclamer quoi que ce soit concernant la cathédrale de Nice car il a signé en
1997 un accord avec l’Etat français par lequel il renonçait à toutes actions en revendication sur des
actifs situés en territoire français (accord qui réglait le contentieux concernant les emprunts russes).
L’Etat russe rétorque que cet argument, qui n’avait pas été présenté en première instance, est sans
effet car l’accord signé par lui-même en 1997 concernait -les réclamations ayant un caractère contentieux
-les réclamations interétatiques -les réclamations présentées avant le 9 mai 1941.

En second lieu, l’A.c.o.r. conteste un certain nombre d’arguments de procédure de la partie adverse,
concernant la recevabilité de son droit à agir. Ainsi, elle fait valoir que l’action en justice de son
président, sans mandat du conseil d’administration, a été régularisée par un vote postérieur de
ce conseil. Par ailleurs, elle affirme que la référence au bail emphytéotique dans son action en référé
devant le juge (pour s’opposer à l’inventaire auquel devait procéder l’huissier mandaté par la partie
russe) ne l’empêchait pas de nier par la suite l’existence de ce bail. (L’A.c.o.r. avait soutenu alors
que la fédération de Russie ne pouvait rien faire avant la fin du bail emphytéotique) Enfin, l’A.c.o.r.
conteste que le classement comme monument historique de la cathédrale l’empêchait d’en devenir
(ou d’en être devenue) propriétaire par prescription. C’était ce qu’affirmait la partie russe en se
référant à l’article du code du patrimoine qui stipule qu’un bien inscrit à l’inventaire ne peut
s’acquérir par prescription.

Sur le fond, l’A.c.o.r. développe son argumentation sur trois points:

1. La cathédrale de Nice et le terrain sur lequel elle a été bâtie n’ont jamais été des biens étatiques.
L’avocat de l’A.c.o.r. s’attache à contester point par point les nombreux faits et arguments que les
juges de première instance ont relevés en faveur de la thèse de bien étatique. L’A.c.o.r. , pour
sa part, s’efforce de démontrer que le terrain acquis dans le but d’installer un lieu de
mémoire sur l’emplacement du décès du Tsarévitch, héritier de la couronne impériale russe , l’a
été à titre personnel par Alexandre II, comme père du défunt. L’A.c.o.r. affirme que par la suite le
bien n’est jamais devenu étatique et donc que la Fédération de Russie ne peut être propriétaire de
ce terrain.

2. Dans le cas où la cour ne la suivrait pas dans cette version des choses, l’A.c.o.r. conteste
que le bail fût un bail emphytéotique, du fait de plusieurs restrictions aux droits du preneur de bail qui
figurent dans ce contrat, et elle demande à la cour de le requalifier en un bail simple. De plus, elle
plaide que le contrat n’existe plus puisque « l’Eglise russe » à laquelle il a été conféré a été privée
de toute personnalité juridique par le pouvoir des Soviets en 1918. Les biens de cette entité dissoute
ont été transmis à l’état qui serait donc devenu à la fois bailleur et preneur de bail ce qui fait disparaître le
contrat. Elle conteste en outre que la Fédération de Russie soit le continuateur juridique de
l’URSS et de l’Empire Russe. Enfin elle conteste être elle-même la continuatrice de l’« Eglise
Russe » et conteste la légalité de l’acte d’attribution de Monseigneur Euloge en 1927, dont
elle a été bénéficiaire.

3. Enfin, l’A.c.o.r. estime qu’elle est bien devenue propriétaire du terrain et de la cathédrale
par prescription acquisitive, contrairement à ce qui a été jugé en première instance. Elle affirme
pour cela qu’elle a eu la jouissance du bien dès sa création en 1923, publiée aux hypothèques
en 1926. Elle considère que le rejet de la demande de la commission Jaudon d’inscrire ce bien
sur la liste de ceux qui se sont trouvés en déshérence après la révolution russe a confirmé son
droit de propriété. Elle a donc exercé son droit depuis plus de 80 ans sans aucune contestation.
Il en résulterait qu’elle est bien devenue propriétaire.

Les arguments de la Fédération de Russie

L’avocat de la Fédération de Russie remarque tout d’abord que l’A.c.o.r. a présenté
successivement, pour affirmer son droit de propriété de la cathédrale de Nice, pas moins de
six thèses différentes et incompatibles entre elles. Il y voit un manque de loyauté dans la défense
de l’ A.c.o.r., et appelle la cour à sanctionner cette attitude. Il réfute les arguments de l’A.c.o.r.
selon lesquels l’accord de 1997 priverait l’Etat russe du droit de revendiquer la cathédrale.
Il affirme que cet accord, signé par la Fédération de Russie, ne porte que sur des
revendications inter-étatiques apparues avant 1945, et qu’il ne peut être invoqué par des particuliers.

Sur le fonds

1. La partie russe affirme que la propriété du terrain a toujours eu un caractère étatique. Elle apporte
de nombreux éléments qui tendent à le prouver : dans l’acte d’acquisition, l’acquéreur est désigné
par son titre - Empereur de toutes les Russies - et non son identité – Romanoff – (procédure suivie
au travers de l’ambassadeur etc…) puis par les éléments postérieurs (transmission
d’Empereur régnant à Empereur régnant et non par testament, etc.)

2 L’avocat de la Fédération s’attache ensuite à démontrer que la propriété étatique du terrain a
été régulièrement et légitimement transférée à la fédération de Russie par une succession
d’actes d’Etats réguliers et légitimes. La suite de ces actes est décrite dans les conclusions
de l’avocat.

3 Enfin, l’avocat s’attache à démontrer que l’A.c.o.r. a été créée pour être la personnalité juridique
de la paroisse orthodoxe russe qui existait avant, laquelle était l’expression locale de l’Eglise russe
à qui avait été consenti le bail emphytéotique. Ainsi, l’A.c.o.r. a toujours été détentrice de
la cathédrale en vertu de ce bail, qu’elle a d’ailleurs revendiqué en justice en 1925 (référé
pour s’opposer à la commission Jaudon) puis encore en 2005 (référé pour s’opposer à l’inventaire
par huissier). Elle ne peut donc avoir acquis le bien par prescription puisqu’elle en était détentrice
en vertu de ce bail.

L’on voit donc que l’ « affaire de Nice » est assez compliquée sur le plan juridique. Le malheur
est que, quelle que soit la décision du tribunal, elle sera vécue comme un drame par une partie
des orthodoxes de France. Il aurait pourtant été possible d’éviter ce conflit déplorable par un
minimum d’esprit de compromis dont l’Etat russe semblait animé au départ, puisqu’il
avait publiquement proposé de renouveler le bail au profit de l’A.c.o.r.. Il aurait pour cela fallu avoir
un regard plus ouvert sur l’évolution de l’Etat russe et de l’Eglise russe, en tentant de
s’affranchir d’idées préconçues et de clichés, maintenant dépassés, mais qui entretiennent des
conflits qui ne devraient pas exister dans l’Eglise.

Quelle que soit l’issue de l’appel, il faut espérer que chacun se souviendra que la cathédrale de
Nice est un lieu de rassemblement eucharistique pour tous les orthodoxes, ceux qui y vivent ou qui
y passent.